Le plein d'histoire : de la varanda à la véranda
La
véranda se développe en Europe depuis le XIXème siècle. Mais cela
n'a pas toujours été le cas.
Bien
qu'on signale dès l'Antiquité des serres pour abriter les plantes
(mais uniquement celles qui nourrissent, faut pas exagérer), la
véranda est née dans l'Inde lointaine (et mystérieuse)... et voici
son histoire.
Il
était une fois, il y a fort longtemps, au XVIIIème siècle pour
être précis, un savant du nom de Radama (monsieur Radama !).
Son passe-temps favori (qui en d'autres lieux aurait été nommé
péché mignon) était d'observer les animaux qui l'entouraient. Il
s'était ainsi construit une maison en pleine forêt, près d'un
marais isolé depuis laquelle il consignait toutes ses observations
dans son journal intime.
C'était
un homme solitaire, qui ne nourrissait aucun appétit pour le
commerce avec ses semblables. D'ailleurs, son journal, publié de
manière posthume (journal d'un ami du genre humain ?), laisse
clairement transparaître ses doutes quant à sa propre
appartenance au monde des hommes.
Monsieur
Radama (le docteur Radama !) avait une passion toute particulière
pour les reptiles et les sauriens. Le marais proche de sa maison
était l'occasion toujours renouvelée d'approfondir ses
connaissances. Il débuta ainsi la rédaction d'un long guide sur le
mode de vie des différentes espèces et les relations entre les
individus.
Un
jour, pourtant (et grâce à son journal nous pouvons dater ce jour :
le 21 juin 1811), il fit une découverte qui l'ébahit : le
marais accueillait une espèce qu'en 5 ans de vie sur place il
n'avait jamais observée, et qu'en 53 ans de vie il n'avait jamais
croisée. Heureusement, ses nombreux ouvrages sur le sujet lui
apprirent qu'il s'agissait de varans, plus précisément du varanus
salvator, couramment appelé
varan malais.
Il entreprit alors une patiente et
méticuleuse démarche d'apprivoisement. Fasciné par le lien qui
semblait exister entre les varans et lui, il en était devenu
complètement obsédé, comme si aucune autre espèce ne trouvait plus
grâce à ses yeux.
Petit à petit, il réussit à
attirer quelques varans jusqu'à sa maison. Il les installa du côté
du marais, à l'abri sous une excroissance de bois qui formait comme
une terrasse couverte. Le groupe de varans grossit au fil des
semaines. Tous semblaient se donner rendez-vous devant la maison, au
point que le docteur Radama ( le grand Radama ! ) finit par leur
réserver entièrement l'endroit. Il ne s'y rendait plus que pour les
observer et leur apporter parfois quelque nourriture.
Mais bientôt, ce dispositif ne lui
suffit plus. Le grand Radama avait chaque nuit des insomnies à la
pensée que ses chers varans étaient si exposés, là devant la
maison, et si loin de lui. Il installa donc son lit sous la varanda,
ainsi qu'il nommait le lieu où se réunissait les varans.
Mais dès la nuit suivante, il prit
peur. Pour une raison inconnue, les varans se déchaînèrent contre
lui et il ne dût son salut qu'à une retraite précipitée à
l'intérieur de la maison.
Les semaines suivantes, il récupéra
et réfléchit longuement. Son journal nous indique toutes les étapes
par lesquelles passa cet esprit éblouissant et néanmoins très
partiellement rationnel. Un jour, un beau jour, il sortit de chez lui
en prenant soin d'éviter le secteur de la varanda, et il se rendit
en ville.
Quelques semaines plus tard, des
ouvriers arrivèrent et s'affairèrent dans la maison pendant de
longs jours. Le grand Radama (le célèvre Radama!) avait accroché
son hamac dans un arbre accessible. Les varans, circonspects,
observaient ce bouleversement depuis les arbres tout proches.
Lorsque les ouvriers partirent, et
que le docteur regagnit sa maison, les varans s'approchèrent. Plus
de varanda. Par contre, une sorte de tunnel s'ouvrait devant eux. Le
plus brave (ou le plus inconscient) se lança dans le noir. D'autres
suivirent. En un rien de temps, les 8 varans se trouvaient dans le
tunnel, à avancer vers un point lumineux qui grandissait à
toute vitesse.
Ils débouchèrent dans une sorte de
paradis : eau, plantes, soleil, ombre, et même gibier, tout
était là. Eblouis, ils ne s'aperçurent pas immédiatement qu'ils
venaient d'être enfermés par le célèbe Radama (le fourbe Radama
!) qui n'avait pas perdu une miette de leur épopée et venait de
boucher le tunnel.
Eh oui ! Voilà les travaux !
Le fourbe Radama (l'astucieux Radama !) avait fait réaliser au cœur
même de sa maison une réplique du milieu naturel des varans. Ah,
elle avait de l'allure, sa nouvelle varanda ! Toute en verre et
en bois, ouverte sur le ciel indien, elle créait dans la maison un
îlot de nature plus vrai que vrai.
Hélas, il ne put en profiter
longtemps, car il mourut d'une bête chute d'arbre.
Des années plus tard, alors qu'il
réalisait une excursion dans la forêt tropicale, un explorateur du
nom de Jules Gérard Farthes tomba sur cette maison abandonnée et
sur le journal de l'astucieux Radama (le regretté Radama!). Il le
ramena en Europe, et en fit publier des extraits das le cadre de son
célèbre ouvrage «architectures autochtones ». Hélas, il
choisit de transformer le nom de varanda afin de faire disparaître
l'ombre inquiétante du varan. L'ouvrage rencontra un franc succès.
L'Europe était prête à accueillir : la véranda.
La
véranda, nature et culture
Passons
par dessus deux siècles de vérandas pour examiner la situation
actuelle.
La
varanda originelle était bien un lieu de nature au milieu d'un lieu
de culture. Observer la vie des varans dans leur milieu, tout en
sirotant un picon-bierre depuis son hamac, tel était le principe
retenu par le regretté Radama (l'ingénieux Radama!).
Que
trouvons-nous aujourd'hui ? Eh bien nous trouvons tout d'abord
des ouvrages relativement conformes à l'esprit d'origine :
terrariums, aquariums, serres diverses, tous permettent d'amener dans
la maison un peu de nature. Quelle dégradation du milieu pourtant !
40 cm2 pour les moins bien lotis au lieu des bons 70 m2 du
docteur Radama ! Et peut-on encore parler de reproduction du milieu
naturel dans un aquarium boule avec des perles colorées et un pirate
en plastique au fond, je vous le demande ?
Mais
enfin, nous restons assez proches du schéma initial de la varanda.
Etonnamment,
la vé-ran-da a dû tout d'abord s'éloigner de sa lointaine ancêtre
pour opérer ensuite un revirement progressif vers son sens initial.
La
vé-ran-da a commencé par faire disparaître progressivement les
éléments naturels en les confiant à d'autres mots : jardin
d'hiver, piscine couverte, ne sont pas des vé-ran-das. Trop de
nature.
Dans
une vé-ran-da, les plantes sont en pot, et l'eau est dans le pastis.
On pourrait courir à une conclusion rapide sur l'artificialisation
de la nature et le triomphe de la culture dans une société éloignée
de son animalité.
Mais
à bien y regarder, une vé-ran-da, dans toute son artificialité,
n'est-elle pas plus proche aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été de
la première varanda ? Reprenons la définition initiale :
« observer la vie des varans dans leur milieu, tout en sirotant
un picon-bierre depuis son hamac, tel était le principe retenu par
le regretté Radama ».
Bon.
Vous êtes un merle. Vous arrivez dans un jardin dans lequel se
trouve une véranda, éblouissante dans son absence de plantes, de
bestioles et dans son abondance de carrelage et de structure alu, et
ses habitants occupés à célébrer l'été avec des verres de
pastis et des apéricubes. N'êtes-vous pas alors en pleine
observation de la vie des humains dans leur milieu, en sirotant une
cerise depuis votre confortable branche ?
Voilà !
Le renversement est opéré. La vé-ran-da à juste titre ne peut
accueillir de nature. Elle doit réserver cela à d'autres concepts.
Car la vé-ran-da est en fait l'application à l'humain du concept
initial de l'ingénieux Radama pour les varans : l'observation
par un animal d'autres animaux dans leur milieu.
Vous
conviendrez donc avec moi qu'ayant pris conscience de cette réalité,
la seule prononciation possible est bien véranda.
M.P.
M.P.
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