Roland
Farthes faisait un colloque au sommet de sa gloire.
Soudain
il se retrouva aux Seychelles une caïpirinha dans la main à écouter
une conférence consacrée à la viscosité comparée des fluides
liquides et non liquides et leur incidence sur l'imprégnation par
capillarité dans les solides imperméables.
D'un
geste discret, Roland recommanda une caïpirinha.
Roland
faisait un colloque au sommet de sa gloire.
Soudain
il fait un rêve où il chevauche une licorne. Elle est belle, elle
est rose, elle s'appelle Cinthya et ils s'aiment.
Chaque
jour, du lever au coucher du soleil, ils galopent comme des fous.
Mais un jour, la corne de Cinthya tombe. Roland la ramasse et la
repose sur le front de Cinthya qui le remercie par un hénissement de
joie.
Plus
loin, la corne tombe à nouveau. Elle ne tient plus.
Désemparés,
Roland et Cinthya errent. Cinthya chialoche : elle se sent
nulle et moche.
Ils
croisent une horde de lapins-goufins qui leur mermolent des
imprécations vicieuses.
-
La pisseuse, la pisseuse, on va lui bouffer le trou qu'ils jactent en
les visant avec des patates moisies.
Roland
brandit son épée mais elle est toute molle.
Cinthya
trébuche, elle penche, elle glisse, le chemin s'enfonce. Roland
court après Cinthya.
Les
passants qui les admiraient se moquent de cette licorne sans corne,
tachée de boue.
Cinthya
dévale la pente. Roland perd du terrain. Une ombre se dresse devant
lui, immense.
L'ombre
parle. Roland ne comprend rien. L'ombre parle à nouveau.
-
Tu es trop grand pour jouer avec les licornes maintenant.
L'ombre
lui prend la main et entraîne Roland sur le bord du chemin, parmi
les passants. Ensemble, ils regardent Cinthya tomber.
Roland
Farthes faisait un colloque au sommet de sa gloire.
Soudain
il participe au salon du livre de Maubeuge. Il y présente son livre,
« un pamphlet incisif mais drôle » ( ce sont les mots de
l'éditeur ) sur la généralisation des systèmes d'ouverture dit «
faciles », sur les boites de conserve ou les paquets de
céréales. Il y fustige l'attitude des sociétés contemporaines qui
fuient la complexité, qui refusent de se confronter à ce qu'il
appelle « Le mystère du monde » . Il prône au
contraire des ouvertures difficiles, voire énigmatiques, à l'aide
de rébus, de charades ou autres devinettes.
A
la table voisine, le fameux écrivain-globe-trotter Marc-Henry
Lévy-Strauss, le grand Khan de la littérature vagabonde et engagée
dont le dernier roman, Toi et Moi, est déjà un succès énorme. La
file des gens qui attendent pour une dédicace ne cesse de s'allonger
et bientôt, les gens se trouvent aussi devant la table de Roland.
Certains, gênés, font des efforts désespérés pour ne pas croiser
son regard. D'autres lisent distraitement la 4ème de couverture de
son essai Ouvertures faciles : la mort de la démocratie ?
et le reposent en lui disant que ça a l'air intéressant. Sourire
fatigué de Roland.
18h30.
Plus qu'une demie-heure. Roland se lève, rajuste sa chemise et se
glisse dans la file, son exemplaire de Toi et moi sous le bras.
Roland
Farthes faisait un colloque au sommet de sa gloire.
Face
à la chute des ventes de ses livres, Roland décide soudain
d'organiser la fuite accidentelle d'une sextape sur les réseaux
sociaux.
La
réaction est immédiate : Nana le traite de connard, lui
demande comment il a osé publier une vidéo avec une de ses
anciennes maîtresses. Nana parle de mépris, Roland de respect.
Incompréhension.
La
sœur de Roland, hilare, le félicite pour ses prouesses sexuelles.
Sa
mère, elle, ne comprend pas : de quoi as-tu manqué pendant
ton enfance pour nous faire ça ? ( elle parle d'elle et du père
de Roland ). Elle qui n'ose plus aller chez son boucher préféré.
Elle raccroche en traitant Roland d'égoïste, de fils ingrat.
La
presse est ravie : enfin un universitaire qui mouille la
chemise. Roland joue les vierges effarouchées, assure que tout cela
n'est qu'un mauvais canular destiné à ternir sa réputation,
précise que son avocat est sur les dents.
L'éditeur
de Roland est aux anges.
En
attendant la fin de la bouderie de Nana, Roland se console dans les
bras d'étudiantes soudain avides de savoir.
Roland
Farhes faisait un colloque au sommet de sa gloire.
Soudain
il aperçoit Francis qui se promène dans la campagne.
Roland
Farthes faisait un colloque au sommet de sa gloire.
Soudain
il se retrouve à organiser une réunion de famille.
Les
retrouvailles de la famille Farthes, de la smala Farthes. Comment en
est-on arrivé là ?
Car
il y a du détachement chez les Farthes, du dérachement, de
l'éloignitude mais aussi de la racination, de la fraternité, de
l'amour entre les Farthes, on peut dire ça, on a le droit.
Chez
les Farthes on ne fait pas dans l'auberge espagnole et pourtant tout
le monde y a sa place, à commencer par les morts et les absents qui
ont leur assiette bien pleine comme les autres.
Et
puis il y a les usurpateurs, qu'on reconnaît parfois, ceux qui se
font passer pour tata Simone ou Sadi Carnot.
Les
éloignés, qui apparaissent de temps à autre et dont on ne sait
plus vraiment de qui ils sont le cousin, la tante ou l'oncle, les
maladroits qui se trompent de jour ou d'adresse, les érudits qui
luttent contre le chaos de la mémoire, les allergiques qui ne
supportent pas les rituels, les jumeaux qu'on appelle toujours par le
mauvais prénom, les timides qui arrivent en retard avec des crampes
d'estomac, les alcooliques qui portent des toats à n'importe quel
sujet...
Et
puis il y a ceux qui sont là, qui sont là !
-
Ce n'est pas rien d'être le pater familias se dit Roland qui prend
son rôle très au sérieux.
-
Alors ce repas ? demande Nana, une idée pour cette année ?
Roland
se marre, Nana aussi car :
Chez
les Farthes, pour les grandes occasions, on va chez Flunch !
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