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Des informations de l’autoroute aux autoroutes de l’information

Conférence donnée entre le 15 et le 18 mai 2010 par QRZ fredo33 du collectif anarcho-libertaire Max Meynier


Quand on parle de Citizen Band, qu’entend-on ?
Eh bien mes chers amis, il s’agit bien entendu de la Cibie, en anglais C.B.
Qu’est-ce que la Cibie ? Référons-nous à la définition donnée par RF dans son ouvrage paru en 1980 « La cibie pour les nuls » :
« La citizen band ou CB (de l’anglais bande des citoyens) est une bande de fréquence allouée au trafic radio et ouverte à tous. En français, le sigle CB, qui a parfois été traduit par canaux banalisés, se prononce toujours « cibi », à l'anglaise. Par extension, le mot CB désigne aussi les émetteurs. On appelle les utilisateurs les cibistes. La radio-CB est donc un moyen de communication "grand public", offrant un large éventail de possibilités d'utilisation (loisirs, sécurité, convivialité, etc...), et qui saura à n’en pas douter acquérir ses lettres de noblesse dans les années à venir. »
Quelle vision visionnaire n’est-il pas ? Comme le futur, a su lui donner raison ! Et c’est bien le sujet de notre intervention-hommage à ce grand homme et ami que fut Roland Farthes : on ne parlera pas aujourd’hui de CB par hasard, car le hasard, comme disait Thierry, « c’est bon pour les gens qui ne croient en personne ».

Pourquoi donc se pencher sur le phénomène des Citizen Band ?
Parce que lorsqu’on évoque RF, c’est un sujet central.
RF a baigné dans une époque d’élitisme intellectuel, culturel et médiatique. Il a vécu cette période où l’on expliquait aux populations qu’elles auraient toutes droit à ¼ d’heure de gloire. C’est aussi l’époque centralisatrice et castratrice de l’ORTF.
D’ailleurs, la présence des initiales de notre héros dans ce sigle d’Etat est un indice troublant qui ne peut que nous donner un aperçu de la puissance d’intervention insoupçonnée de notre héros.
Or donc, à cette époque et bien avant, RF avait compris que le monde nouveau ne saurait naître sans une grande révolution culturelle : la démocratisation de l’accès à l’information. Pour lui, chacun doit pouvoir alimenter, façonner, devenir le média dont il a besoin pour pouvoir transformer le monde. L’avenir est donc à l’auto-construction de la citoyenneté par les citoyens eux-mêmes, à l’invention de réseaux sociaux décentralisés, à l’interactivité des êtres : en bref à l’éclosion participative de nos vies dans une perspective technologique et résolument moderne.

Oui mais me direz-vous, vous avez l’impression d’avoir déjà entendu de tels discours ? Certes mais c’est là qu’apparaît le génie RF, l’homme que nous aimons tous :
La thèse que je souhaite porter à vos oreilles attentives est celle d’une découverte inventée au sens archéologique du terme, au cours de recherches que j’effectue en tant que spécialiste des pratiques de communication de loisir (qui recoupent, à la fois et il ne faut pas confondre, à la fois donc le radioamateurisme décamétrique uhf/uvh, la CB citizen Band, le talkie-walkie lpd/pmr ainsi que tous les récepteurs scanners toutes fréquences.

Cette découverte, je vous la livre aujourd’hui en toute simplicité : RF n’est pas uniquement un précurseur génial ayant pensé. RF a mis en marche une machinerie extraordinaire qui a pris son envol et nous a mené là où nous sommes aujourd’hui.
Un choix de jeunesse de Roland, 1 seul choix, a permis à cette révolution de s’amorcer pour ne plus s’arrêter jusqu’à prendre les formes des technologies de l’information et de la communication diverses et variées que nous manipulons. RF, après cette impulsion salvatrice, s’est contenté par la suite d’un rôle de chef d’orchestre invisible et inspiré, et néanmoins témoin au quotidien de ces modifications structurelles de notre rapport moderne au monde.
Pour parler simplement, sans RF, pas d’internet, pas de imac, d’email, de flybook, de sms, de twitter, de facebook, de forums, de web 2.0, d’impots.gouv.fr etc…

Mais revenons un peu aux origines de cette révolution.
Le pionnier incontestable est Eugène Ducretet. Le 5 nov 1898 expérimente la 1ère liaison bilatérale de 3 km entre la tour Eiffel et le Panthéon (ce qui nous permet d’applaudir au passage l’annonce officielle du transfert prochain des cendres de RF).

Un peu moins de 50 ans plus tard, Al Gross, un ingénieur américain, invente le talkie-walkie et suggère l’idée d’un projet de bande de radio libre d’accès au citoyen qui deviendra – vous aurez sans doute fait le lien – la Citizen Band.
En 1947 se déroule une conférence mondiale pour répartir les fréquences hertziennes à laquelle assiste Al. Seule une bande, le 27 mégahertz, reste inutilisable à cause des nombreuses perturbations électriques provoquées par des appareils utilisés par l'industrie et la recherche médicale. La conférence décide donc de la concéder à la libre utilisation des citoyens.

On comprendra mieux l’origine de cette décision et l’importance de cet évènement lorsqu’on saura qu’Al Gross n’est autre que la mari par alliance de la grande cousine par ascendant de germaine de la mère de RF lui-même. Eh oui.
RF, très perspicace et à l’opposé de toutes les tendances intellectuallo-fashion de son temps mesure aussitôt l’importance de l’invention d’Al gross sur le plan de la démocratisation culturelle et décide d’agir.
Vous l’avez compris, tapi dans l’ombre, RF vient de distribuer les cartes. Depuis, les choses évoluent mais c’est toujours Roland qui mène le jeu.

Ensuite, que s’est-il passé ? RF met dans la confidence quelques personnes de son entourage proche, dont mon oncle Marcel pour des raisons que je vous expliquerais si j’en avais le temps mais l’horloge tourne et nous devons aller à l’essentiel. Les premiers cibistes en France sont apparus à l'aube des années 1960. Puis RF fut occupé par d’autres travaux, dont vous nous parlez aujourd’hui très bien, très chers contributeurs venus de toute la France.
En 1980, considérant que le moment y est propice, il publie « La cibie pour les nuls », son ouvrage de référence sur le sujet. Immédiatement, autour de lui, les choses s’enclenchent : 1981, François Mitterrand fait promulguer la libération des ondes par son gouvernement.
Rapidement, les citoyens s’en emparent et offrent à la CB son âge d’or. Puis peu à peu, sans nous en rendre compte, nous sommes tous devenus nos propres médias : radios libres, consoles de jeux, tournois d’arcades, libre-antenne, téléréalité, internet, Exactement comme RF l’avait conçu, le médiateur s’est positionné comme le meilleur ambassadeur du média.

Je n’irai pas plus loin dans la démonstration car nous en sommes tous convaincus. Permettez-moi toutefois de vous demander quelques instants d’attention pour revenir sur cette invention formidable.
Technique : Je ne vous ferai pas l’affront de présenter cet outil que vous connaissez et utilisez tous mais quelques rappels d’ordre technique seront très utiles pour comprendre le pourquoi du pourquoi.
Pour faire de la cibi, point n’est besoin d’être ingénieur électrotechnicien : il suffit de se procurer un émetteur-récepteur CB, le relier à une antenne et recevoir et émettre autour de la fréquence des 27 MHz, ce qui correspond à une onde décamétrique de 11 mètres.
Idéalement une antenne fouet doit faire 1/4 de longueur d'onde soit 2,75 m. Cela ne pose pas trop de problème sur un toit de maison, mais cela s'avère plus délicat sur un véhicule où elle est généralement raccourcie par une « self » (bobine) à la base.
Concernant la CB, les 22 canaux de l’origines ont laissé place aux 40 canaux actuels autorisés et à 3 formules de modulation : FM – AM – SSB (comprenant USB et LSB). On sera heureux d’apprendre que Les tontons comme on dit entre cibistes pour désigner la maréchaussée ont des appareils gonflés à 10w et 120 canaux et que la police parisienne s’exprime librement sur le 450 MHz. Tout de même.
Garder ces éléments en tête permet à mon avis de bien comprendre en quoi la cibie est porteuse d’une approche philosophiquement et radicalement différente dans laquelle les germes de la culture du Web 2.0 sont tous présents.

Ontologie de la cibie et de l’internet 2.0 se rejoignent en plein :
A titre de preuve, voici quelques points communs de la cibie avec les TICE permettant immédiatement de mettre en évidence une filiation incontestable, filiation que l’on pourrait démontrer plus avant bien sûr mais qui est à mon avis parlante d’elle-même, dès son approche.

On peut grâce à la CB tout à la fois recevoir et émettre, être producteur et consommateur d’information. A contrario de la téléphonie moderne opérant en full-duplex, dans lequel chacun peut parler en même temps que son interlocuteur, et à l’inverse de la télévision, du journal, de la radio où le flux ne se fait que du haut vers le bas, la cibie, comme le web, est profondément égalitaire et respectueuse des individus : chacun parle à son tour, relâchant la manette de son micro, et passe ainsi du mode émission au mode réception pour écouter l'autre protagoniste parler. Cela change tout.
La cibie est aussi ouverte sur le monde : la rencontre est aléatoire et fonction de la présence des présents. Le Cibiste, s'il contacte souvent ses amis, va également rencontrer par les ondes de nouveaux interlocuteurs d'une façon très aléatoire, avec qui il va parler « de tout et de rien » - surtout de tout - La création de forums sur internet est d’ailleurs née de cette pratique d’échanges fructueuse.
Comme dans toute communauté, des règles s’appliquent. On respectera par exemple l’usage de certains canaux : l'appel (le 27), les secours (le 9), les réglages (le 20), les routiers (le 19), les bateliers (le 16). La discipline impose de ne pas parler trop longtemps et de terminer par un mot ou un code particulier permettant de faire comprendre qu'on a fini sa phrase. La difficulté parfois est pour l'intervenant extérieur, qui voudrait se mêler à une conversation déjà commencée, et qui doit envoyer un Break! assez bien placé pour être entendu, remarqué pour être accepté.
En cas de débordements on assiste alors à une modération interne par la communauté, sans autre autorité. Sur ce point, j’ai l’habitude de citer Tonton 12, président de la FFCBL (Fédération Française Citizen Band Libre) : « Par contre, il y a s’amuser et s’amuser. Si c’est pour faire le pitre sur le 19, vous n’allez pas vous faire que des amis. »
On fera donc le rapprochement avec nos pratiques quotidiennes de la toile, en repensant nos idées préconçues sur les sources de la très jeune néthiquette, parfois appelée net-éthique.

Autre illustration parlante : la fonction d’orientation. Vous arrivez dans un lieu inconnu et vous êtes perdu ? Rien de grave. Un tour sur le 27, un appel au radioguidage et immédiatement une chaîne de solidarité se met en place pour vous mener à destination. Pourrez-vous encore penser après avoir réalisé cela que le GPS puisse être qualifié d’invention ? Pas besoin d’être un génie pour faire un parallèle immédiat !

La cibie fonctionne sur le modèle du maillage et de l’interactivité. La CB est à l’origine de réseaux sociaux tout en revendiquant des valeurs de convivialité, d’entraide, etc : la CB est un grand lieu d’humanité, ce qui permet de reconnaître en filigrane la patte de RF, sans aucun doute.

Enfin, et c’est là un point fascinant, arrêtons-nous juste quelques instants sur la richesse de la CB d’un point de vue culturel. Malheureusement nous ne pourrons faire autre chose que l’approcher, la survoler, la caresser. On s’aperçoit pourtant immédiatement que cette culture est incroyablement riche et porteuse de sens et qu’elle allie à la fois complexité sémantique, compréhension, constitution d’une langue, de codes, de vocabulaires tout cela sur la base d’un matériau profondément humain. Sans ces jalons posés par la culture CB, pas d’émergence spontanée des fameux « lol » et « mdr » de nos chers adolescents contemporains.
Ainsi, on connaît tous le « je te copie» 5/5, « la route est claire » (pas d’embouteillages), « la route est propre » (pas de policiers), 51 (bonjour), « QRT » (arrêt de transmission), « roger » (bien reçu). « mon QRZ c’est pinky » (mon pseudo est pinky,le pseudo étant entre parenthèses une pratique courante propre originellement aux artistes et créateurs de tous poils, signe de l’émulation intellectuelle provoquée par le média).
Je peux d’ailleurs profiter de cet après-midi amical pour vous dévoiler le QRZ de RF sur les ondes. Roland intervenait parfois pour le plaisir sous le QRZ de Fartman. Je dois cette découverte à monsieur Lerouxel que je tiens à remercier particulièrement pour le bond en avant fulgurant qu’il a offert par-là même à mes travaux de recherches.

Mais on me signale que nous devons bientôt passer la parole. Je vous ferai donc juste partager une ligne qui me semble très convaincante sur cette question de la filiation des codes CB / internet :
« http://fr.mc314.mail.gwb.com/mc_welcome/ »

Et aujourd’hui ?
Loin d’avoir disparu dans les limbes comme on aurait pu le croire, submergée par toutes les strates de moyens de communication à notre disposition, la CB continue à préexister et est aujourd'hui encore reconnue par exemple comme un facteur améliorant la prévention et la sécurité sur les routes. Certains organismes d'intervention (pompiers, Croix-Rouge, associations, ...), qui l'ont intégrée dans le processus de déclenchement des secours, sont en permanence à l'écoute du canal 9, le canal de la sécurité, afin de pouvoir intervenir au premier appel d'une station radio-CB.
Une des motivations pour les cibistes éclairés qui fréquentent toujours les canaux est d’ailleurs bien de rendre un hommage légitime à notre héros du jour. Pour plus de précisions, et pour une analyse plus fine de ces motivations, je vous incite à vous procurer mon livre qui sort dans les maisons de la presse le 16 mai prochain (je serai en dédicace au relais H de la gare de Cherbourg le 16 à 11h) :
« RF à l’origine du web 2.0 : Le support Citizen Band ».

Pour terminer, je vous donnerai juste quelques petits points de repère, partant du postulat que les amis de Roland Farthes sont mes amis :
Pour s’acheter une bonne cibie, il faut être attentif au nombre de canaux, à la puissance de la porteuse FM, à la présence d’indicateurs LED des canaux, s’assurer d’un réglage automatique sur le canal 19 (indispensable !) et être attentif au prix quoique quand on veut faire de la qualité il ne faut évidemment pas regarder à la dépense.

Je reste bien sur à votre disposition pour vous orienter vers des modèles adaptés mais je ne saurais que vous recommander si vous tombez sur les modèles suivants d’acheter les yeux fermés : la ML 145 de chez magnum. J’ai moi-même un préampli EC2018 et j’en suis très content. J’ai par ailleurs une Star 3900 et une Santiago. Quant aux président, on a pu croire que c’était de la qualité mais président, c’est bon uniquement pour le camembert, et encore. Ah ah.

Sur ce, 73.51 : cordiale poignée de main.

Ah si, une exception, la président Jackson 1983.

QRZfredo33 est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Pédaler dans la semoule, à quoi bon ? et Le bon vieux temps des Harley. Ces ouvrages sont édités par le collectif Max Meynier.

Lors du colloque, la lecture de cette conférence, véritable performance, dura 3 jours pendant lesquels le conférencier ne s'alimenta que de carambars, ce qui entre nous ne facilita pas sa diction. Le public dût organiser des quarts afin que certains puissent dormir pendant que d'autres écoutaient tout en préparant un compte-rendu pour le réveil de leurs camarades. Porté par l'amour du savoir, ce valeureux public subit stoïquement six averses. Toutefois il est à noter que deux membres de l'audience tombèrent dans un profond coma dont ils ne sont toujours pas sortis aujourd'hui et toute notre sympathie va à leurs familles.

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