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Moi-moi-mon-moi ou Les chemins de la trans-identité du doute




Moi-moi-mon-moi ou Les chemins de la trans-identité du doute

Par Moi-Surmoi

Aujourd’hui, chers amis se tient peut-être devant vous le lauréat 2016 du prix Goncourt dans la catégorie Premier roman. Je dis « Peut-être » et il serait peut-être plus prudent d’ajouter « Méta-peut-être », car comme vous le savez, on n’est jamais trop prudent. Je m’explique.

Pour commencer, je précise que j’ai choisi aujourd’hui la forme du « Je » pour m’adresser à vous. Car cette présentation sera très personnelle et même « Méta-personnelle ». Voire « Trans-personnelle ». Je m’explique.

Je suis malheureusement privé de présence, incapable de partager ce moment avec vous par le prisme de mon enveloppe corporelle, une enveloppe irradiante du plaisir contagieux d’être ensemble aujourd’hui. Je veux parler de cette enveloppe physique, qui m’offre une corporéité constitutive de mon être, à la fois pleine de moi et pleine de pas moi. Cette enveloppe corporelle que vous connaissez bien, pour certains (hihihi, coquins). Reprenons-nous.

Mais je suis pourtant là, avec vous, là là là là, n’en doutons pas puisque je vous parle. Alors… ? Qu’est-ce à dire ? Quid de mon identité ? Mon corps est-il mon être ? Mon être se résume-t-il à mon corps ? Puis-je être dans la bouche de celui ou celle que je charge de transmettre ces pensées en mon nom ? Moi, tout entier ? Dans une si petite bouche ? … ?

Non, personne ne le croirait. Et paradoxalement, personne n’oserait me dire que je suis gros. Mais suis-je gros ? Oh, je peux bien admettre l’émergence ponctuelle de quelques pensées grasses. Mais gros ? Cela serait un peu fort de café (j’allais dire, cela serait un peu gros. Ihihih).

Je suis donc mon corps mais je ne suis pas mon corps. Alors, qui suis-je ?

Allons plus loin ; je dis « transmettre ces pensées en mon nom » Mais quel nom ? Par la Toute-puissance du Méta-peut-être, il me faut vous révéler que vous n’avez peut-être pas devant vous la personne que vous croyez voir. En disant cela, je ne parle pas de la bouche qui me sert de truchement momentané, je parle bien de moi moi, vous aviez compris, car vous avez forcément devant vous la personne que vous entendez. Forcément. Ça se complique, non ? J’en vois un au fond qui se tortille. Enfin, quand je dis « j’en vois un », vous comprenez bien que ce n’est pas moi qui vois mais bien ma bouche. Enfin, la vôtre, celle qui voit avec ses yeux de bouche – que je remercie d’ailleurs vivement de me représenter pour votre bon plaisir.

Ce que je veux dire, c’est que vous n’avez peut-être pas toute la personne que vous croyez entendre et qui est constituée, là, sobrement d’une petite bouche, elle-même relais matériel d’une corporéité absente et néanmoins immatérielle, joyeuse, irradiante, grasse mais pas grosse si je résume.

Je suis réduit aujourd’hui à une bouche. Simple et jolie, certes. Qui a des yeux, soit. Mais uniquement une bouche tout de même. Est-ce enviable ? La question que je me pose alors est celle-ci : « et si, lorsque je ne suis pas réduit, j’étais tout de même réduit ? Ou grandi ?». Ce que je veux dire, c’est que je ne suis peut-être pas que ça, je suis peut-être beaucoup plus que ça !

Alors, me demanderez-vous ? Qui es-tu ?

Allez, je ne vous fais pas patienter plus longtemps :

…..(silence, captation de l’auditoire, tension scénographique)….

Et si j’avais un sosie ………. ?!

Et si j’étais un sosie ……………. ?!!!

Ah….

Un sosie qui serait à la fois moi et qui ne serait pas moi. Et si mon corps pouvait être sans moi tout comme je peux être sans mon corps ? Nous serions deux à être un, et en étant un, nous serions deux. Deux dans une bouche me direz-vous ? Oui, ça paraît Farthien, je vous l’accorde. Tant mieux.

Allons plus loin. Ce sosie aurait lui aussi une corporéité joyeuse, irradiante, grasse mais pas grosse. Et s’il était aussi beaucoup plus que ça ? Ah… Et si j’avais un sosie exceptionnel ? Serais-je alors moi ou deviendrais-je exceptionnel ? Plus que moi, je veux dire.

Allez, je vous raconte car je sens que vous brûlez d’envie de me connaître. Il ne vous aura pas échappé que l’académie Goncourt cette année a frappé un grand coup en décernant contre toute attente son prix du 1er roman à un inconnu. « Contre toute attente, bof » me direz-vous. « Pour être décoré d’un 1er roman, il est plutôt bien vu d’être inconnu, c’est dans l’ordre des choses ». Oui, je suis d’accord. Mais là… Là… !! Il s’agissait d’un inconnu total, un outsider qui ne faisait même pas partie des 4 derniers en lice pour le prix. L’inconnu qui déboule parmi les inconnus. Si je devais donner une image, ce serait celle du jeu : ce serait un peu comme un 6è joueur de tarot qui apparaîtrait sans prévenir et qui poserait son petit au bout ! (A ce moment précis du récit, je remercie ma bouche de prendre le temps de retrouver son calme). Donc, l’inconnu qu’on ne voit pas venir. Fulgurance, classe, éclat. Le Méta-inconnu.

Cet inconnu s’appelle Joseph Andras.

Visiblement, il souhaite rester discret. De lui, on connait peu de choses. 4 informations pour être précis.

La 1è : il est né en 1984. Invérifiable.

La 2nde : il vit en Normandie. Clin d’œil.

La 3è : Il aime voyager. Bon.

La 4è : C’est maintenant que vous pouvez ouvrir tout grand les yeux, la bouche et les oreilles, dans le sens que vous voulez. Car oui, messieurs, oui mesdames, chers amis : c’est spectaculaire :

Joseph Andras a présenté une photo. De lui. Enfin, on pense. Le truc un peu étonnant qui apparaît alors, c’est que ce cliché de Joseph Andras, le type qui aime faire des clins d’œil à la Normandie et qui publie chez Actes Sud, eh bien ce type, il me ressemble assez. Dans sa corporéité je veux dire. J’ai amené une photo pour que vous puissiez vous rendre compte. Enfin, ma bouche a imprimé une photo pour être plus précis. Regardez par vous-même…

[ma bouche est priée de faire circuler un ou deux portraits parmi l’assemblée médusée. Pour ce faire, l’assemblée est priée d’être médusée.]


Incroyable, non ?

Donc si on résume. J’ai un sosie assez exceptionnel. Il est devenu célèbre parce qu’il est inconnu. Ce sosie souhaite continuer à se promener incognito parce qu’il ne tient pas à être célèbre. Et il donne quand même une photo de lui. Et quand il donne une photo de lui, c’est une photo de moi !!

Pfui…

Là, je dois vous confesser que j’ai ressenti un vide intersidéral. Du même ordre je pense que ce que raconte Roland à propos du jour où il a vu pour la 1ère fois une photo de Roland Barthes dans Télérama. Comme dit mon secrétaire qui a une explication pour tout : «  c’est l’émoi du moi ».

Alors maintenant, nous allons nous poser la question : qui suis-je ? Est-ce que je suis moi ? Est-ce que je suis lui ? Est-ce qu’il est moi ? Est-ce que nous sommes nous ? Il va sans dire que si cette question du je est valable pour moi, elle est également valable pour Roland ; c’est le sens même de ma démonstration, vous l’aurez bien compris.

Une amie m’a contacté récemment pour me dire qu’elle m’avait reconnu et pour me féliciter bien sûr. J’ai ainsi appris que j’étais moi. Pas le moi qu’on connait, non. L’autre. Je suis subitement devenu moi, l’autre, le célèbre qui utilise ma personne pour rester anonyme. En donnant un faux nom et une vraie photo. Celui qui répond au concept Farthien d’ « usurpateur ambivalent » : il utilise mon image sans me demander pour pouvoir se retirer du champ visible de la scène. Pour compenser cette attitude indélicate, il passe un marché implicite avec moi : il propose de partager les fruits de sa célébrité à titre de rétribution symbolique. Merci, vieux faux-frère ! – Pour les personnes qui souhaiteraient creuser la dimension psychologique, je recommande la lecture d’un texte de RF trop peu souvent cité je pense : « le faux-frère du sosie du soldat inconnu ».

Maintenant ; il nous reste à lever un coin du voile. Pour ma part, j’ai eu un doute. Qui vous a peut-être également effleuré. Est-ce que j’ai vraiment appris lorsque cette amie m’a appelé que j’étais moi ? Parce que je suis peut-être aussi une seule et même personne ? A la foi moi-moi et à la fois moi-pas-moi. Je suis peut-être Joseph Andras après-tout ? Car quoi de plus malin que de se présenter déguisé en soi pour ne pas être reconnu ? Ce qui est assez invérifiable et même tout à fait probable. Voire crédible. J’aurais ainsi réussi à élaborer un second moi à partir de moi, en utilisant l’image de moi, ce qui est déjà une réussite en soi et témoigne d’un certain talent imaginaire. D’où reconnaissance, d’où prix Goncourt, d’où célébrité, d’où anonymat.

Alors chers amis, au terme de ces quelques propos à la recherche de mon identité, propos retransmis par ma bouche fidèle, que je ne remercierai jamais assez de m’éviter une présence publique, à moi qui tiens à rester incognito, au terme de ces quelques propos disais-je, toute notre certitude tient en une incertitude :

Soit je suis cet être qui a plusieurs être et plusieurs corps et je suis exceptionnel.

Soit je viens de recevoir (et accessoirement de refuser) le prix Goncourt et je suis exceptionnel.


Les esprits chagrins tenteront de m’opposer que si je n’avais pas eu le prix Goncourt, je serais resté anonyme et que n’étant pas célèbre, ce raisonnement ne tiendrait plus car il n’y aurait aucun intérêt à rester anonyme alors que je l’étais déjà, surtout en me faisant passer pour moi. Alors. Hein ?

Sage réflexion. Je – Qui ça je ? – Je répondrai tout de même quelque chose à cela. Cela tient en deux mots. Deux mots simples qui disent tout : « Remember Roland ».

Merci de votre attention.

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